L'ultime combat / Histoire courte de Caalfein


 L'ultime combat

 

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Dans cette rue désertée par ses habitants, il avance vers moi, sûr de lui, savourant déjà sa victoire au milieu du chaos qu’il a provoqué. Mes doigts se resserrent un peu plus sur l’acier rassurant de mon arme ; je suis prête pour l’ultime combat ; l’un de nous deux va mourir ce soir.

 

Ma respiration calme, presque apaisée, contraste avec la gravité de l’instant et la puissance des odeurs qui m’entourent. Les immeubles éventrés par les assauts et souillés par les fumées âcres ne sont plus que des spectres. La pluie ne parvient pas à éteindre les véhicules incendiés.

 

Mon adversaire traverse une brume toxique aux relents d’essence et s’arrête. Trois mètres nous séparent, tout au plus. Il me toise de son regard noir, inquisiteur, dénué d’humanité. J’ai envie de lui faire bouffer son sourire carnassier et de lui enfoncer mes doigts dans les orbites alors qu’il détaille chaque partie de mon corps. Il m’envisage comme une proie à sa merci, je le sais. Une proie dont il entend se délecter après l’avoir dépecée. Il peut toujours courir.

 

– Tu en as mis du temps, Cassidy.

 

Sa voix est douce, hypnotique. Cet homme est la personnification d’un oxymore. Un monstre angélique.

 

– Désolée pour le retard, Jack. J’ai été un peu occupée par tes adeptes frappadingues.

 

– Je te pardonne. J’ai eu moi aussi de quoi faire avec ton équipe.

 

Mon cœur se serre.

 

– Tu te demandes comment vont tes troupes ? Avoue. Tu t’inquiètes pour eux, n’est-ce pas ? Hé bien, rassure-toi, car j’en ai laissé certains en vie. Enfin, agonisants, pour être précis. La précision c’est important, tu ne trouves pas ? J’ai pensé que tu apprécierais ma mansuétude à leur égard. J’aime te faire plaisir Cassidy.

 

Nous savions tous que c'était une mission suicide. Chacun avait pris la mesure de la situation et choisi en toute connaissance de cause. Nous étions vingt, dix femmes, dix hommes, prêts à mourir pour mettre un terme au carnage, pour stopper cette ordure sanguinaire. J’avais un grand respect pour ces personnes, pour leur courage et leur détermination à faire ce qui est juste. Alors, à cet instant, je m’efforce de retenir ma rage. Je ne dois pas la laisser m’envahir. Rester alerte encore, et terminer le job. Pour mes équipiers morts au combat, pour la population effrayée et pour moi.

 

– À quoi penses-tu, ma belle ? À tes amis ? Comme c’est mignon toute cette compassion.

 

– Non, j’imagine juste le plaisir que je vais ressentir quand tes tripes s’étaleront sur le sol et que les flammes les feront griller.

 

– Tu vois ma jolie, c’est ce qui me plaît chez toi, ton franc-parler, ton sens de la formule, ton intelligence et ton caractère bien trempé. Tu es une adversaire à ma hauteur et je savoure ces minutes avec toute la solennité qui leur sied. Je regrette tant de devoir te tuer. Nous ferions une si parfaite équipe si tu mettais de côté ta part de lumière. Nous serions invincibles.

 

– Va te faire foutre !

 

– Hum, j’en déduis que la réponse est non.

 

Fébrile, je braque mon fusil à pompe sur lui.

 

– Doucement, ma belle, fait-il en écartant les bras. Tu ne vas tout de même pas tirer sur un homme désarmé. Regarde, je n’ai rien.

 

Sans geste brusque, il soulève sa chemise puis opère lentement un tour complet. Pas de flingue ni de couteau. Je suis étonnée ; ce comportement échappe à ses habitudes.

 

– Tuer des gens sans défense ne t’a pas dérangé. Pourquoi devrais-je avoir le scrupule que tu n’as pas eu ?

 

– Pourquoi ? ricane-t-il. Mais c’est évident. Tu n’es pas moi, Cassidy. À moins que…

 

– Ferme-la !

 

– D’ailleurs, tes… amis ont été fortement surpris, déclama-t-il, sarcastique. Je ne sais pas ce qui leur a fait le plus de mal, ton mensonge par omission ou les blessures que je leur ai infligées.

 

C’en est trop. Ma colère explose. Je tire. Le bruit sourd de la déflagration ricoche sur les murs. Jack porte les mains à son ventre, tombe à genoux puis s’effondre. Je me précipite, décidée à finir le travail. 

 

Un rictus de satisfaction se dessine sur son visage. J’en comprends immédiatement le sens. Il avait anticipé ma réaction, ainsi que ce macabre final. La nausée me saisit. 

 

Je ne suis pas comme lui, hors de question de lui donner raison. Je m’agenouille et appuie sur sa plaie pour tenter de le maintenir en vie. Il doit certes payer pour ses actes, mais pas ainsi. Non, pas ainsi. 

 

Un halo de lumière inonde la nuit. Le bruit des pales d’un hélicoptère en position stationnaire déchire le silence. Son projecteur braqué sur nous, un filin d’hélitreuillage entame sa descente pour nous porter secours.

 

Mon point de compression se fait plus fort ; il ne doit pas mourir. 

 

– C’est inutile, murmure Jack en caressant ma joue de ses doigts ensanglantés avant de laisser retomber son bras devenu trop lourd. 

 

Le sourire de mon père s’efface.

 

 

 - FIN -

 


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